B. Spielmann: «Im Übrigen ging man zu Fuss»

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Title
Im Übrigen ging man zu Fuss. Alltagsmobilität in der Schweiz von 1848 bis 1939


Author(s)
Spielmann, Benjamin
Published
Basel 2020: LIBRUM Publishers & Editors LLC
Extent
240 S.
by
Tiphaine Robert

Issu d’une thèse de doctorat intégrée au projet FNS Mobilität im schweizerischen Bundesstaat. Ein neuer Blick auf die Verkehrsgeschichte der Schweiz nach 1848 sous la direction de Christian Rohr, l’ouvrage de l’historien (et mécanicien de locomotive) Benjamin Spielmann retrace l’histoire de la mobilité au quotidien en Suisse entre 1848 et 1939.

Le titre de l’ouvrage – traduisible par «Pour le reste, on se déplaçait à pied» – est une citation tirée d’une autobiographie décrivant une enfance en Appenzell avant la Seconde Guerre mondiale. Il est à la fois le point de départ de la réflexion de pielmann et sa principale thèse: alors que la période étudiée évoque, dans l’imaginaire collectif, le développement des transports dits modernes, la marche à pied représente toujours le moyen de locomotion principal et quotidien de la majorité de la population. Sous l’expression «mobilité du quotidien» (Alltagsmobilität), l’auteur regroupe les déplacements pendulaires pendant le temps libre et pour les achats. Après une introduction qui précise la démarche, clarifie les concepts et fait l’état de la recherche, une première partie empirique étudie l’infrastructure, une deuxième partie les moyens de transport, tandis que la troisième – la plus originale – interroge la mobilité quotidienne d’individus en s’appuyant sur six biographies. La deuxième moitié du XIXe siècle correspond à une phase d’industrialisation grandissante qui signifie, pour une part toujours plus importante de la population, une séparation entre le lieu d’habitation et le lieu de travail. L’étude s’arrête au début de la Seconde Guerre mondiale, cette dernière donnant un coup d’arrêt à la mobilité des civils avant que les énergies fossiles ne donnent une impulsion sans précédent à cette mobilité, une nouvelle ère qui ne pouvait être intégrée à l’étude.

L’introduction décortique la notion de mobilité, qui autorise de mettre l’accent sur les personnes (au contraire du concept de transports) et qui porte une connotation positive dans nos sociétés (p. 12). Depuis les années 1990 et le mobility turn opéré par Gijs Mom et d’autres chercheurs fédérés autour de l’association T2 M1, la recherche se focalise sur les déplacements plutôt que sur les véhicules et les infrastructures, par le prisme d’une histoire davantage socio-culturelle que technique. Spielmann se propose d’appliquer le modèle théorique développé par Ruth Kaufmann-Hayoz2, qui met en lien le niveau structurel et individuel en révélant les feedback loops entre agents et environnement pour expliquer des évolutions de pratiques. Plus généralement, ce modèle permet de montrer l’importance des facteurs extérieurs sur les pratiques modales, bien au-delà de la question de l’offre de transport. Dans une histoire d’en bas de la mobilité, Spielmann place l’impensé de la marche à pied au centre de son étude: pour la période étudiée, la recherche s’est focalisée sur les progrès des transports modernes en oubliant souvent que ces inventions n’avaient pas une grande incidence sur la vie quotidienne de la plupart des gens.

Le développement de l’auteur nous emmène, en train, en tram (plus rarement en diligence, charrette ou hippomobile), en auto et en bus, à vélo et à pied, dans un passé à la fois proche et lointain où la plupart des gens se déplacent peu, pas loin, et seulement quand c’est nécessaire. L’histoire de la route et du rail est l’objet de la première partie. Au début du XIXe siècle en Europe, les gouvernements libéraux cherchent à moderniser leurs routes. Pour ces dernières ou pour le chemin de fer, l’objectif premier – Spielmann le montre bien – est de transporter des biens et des denrées, pas les personnes. Après 1900, l’auteur montre que le but des collectivités est d’adapter les routes à l’automobile. S’il n’est pas le premier historien à évoquer la question de la poussière, véritable fléau avant l’introduction de revêtements solides, ses descriptions particulièrement vivantes permettent de comprendre la nécessité de ces adaptations dans l’entre-deux-guerres, pour le bien être des piétons certes, mais aussi et surtout pour que l’automobile soit mieux acceptée par la collectivité (p. 60). L’auteur évoque aussi l’histoire plus connue du chemin de fer qui, en analogie aux autres modes de transports, ne voit pas l’augmentation vertigineuse des passagers signifier pour autant une véritable démocratisation.

La deuxième partie se focalise sur les véhicules eux-mêmes et, surtout, sur leur (in)accessibilité. Un témoignage met bien en avant cet écart entre avènement des moyens de transport et le peu d’influence sur la vie des (petites) gens. Une enseignante raconte une sortie d’école à l’Exposition nationale en 1914 depuis un village de l’Emmental. Parmi les 22 élèves, 18 n’avaient jamais vu un train et aucun·e ne l’avait pris (p. 128). Concernant l’automobile, Spielmann montre que ses promoteurs la présentent comme un véhicule du quotidien, alors que son utilisation à des fins de tourisme prédomine jusqu’à 1939: son coût d’achat représente alors une année et demie de travail en fabrique (p. 164). Il corrobore ainsi les travaux de Gijs Mom et de Christoph Maria Merki, qui mettaient en évidence l’emprise progressive de l’auto sur l’espace public, alors même qu’elle est encore réservée à une élite. Le vélo fait figure d’exception, devenant très prisé dans les classes populaires durant l’entre-deux-guerres. Doublement à la marge – de l’historiographie et de la route – la marche à pied conclut le panorama de Spielmann: malgré son caractère universel, normatif et combiné avec les autres moyens de transport, la marche est en effet rarement considérée dans les études sur la mobilité.

La dernière partie donne une illustration vivante et incarnée des parties 1 et 2. En assumant les biais qu’implique cette démarche, l’auteur a choisi six livres racontant la vie de personnes issues d’un milieu pauvre, urbain ou paysan. Les portraits d’un juriste à Bâle, d’un pasteur aux Grisons, d’une ouvrière à Winterthur, d’une sage-femme à Sierre ou d’un ouvrier à Wil mettent en évidence leur (im)mobilité. Un élément se dégage: les transports tels que le train sont uniquement empruntés lors d’«évènements clés» comme un déménagement. En 1939, la sage-femme acquiert une auto pour son travail et fait figure de double exception dans les villages valaisans: propriétaire d’une auto et femme. Son cas fait figure de contre-exemple car, pour le reste, on se déplace le plus souvent à pied. Dans un mode de vie rimant avec proximité (travail, temps libre, achats) – on parlerait aujourd’hui d’économie circulaire –, les véhicules privés, en plus d’être un luxe, ne sont la plupart du temps pas une nécessité. Ainsi, sans nier la pertinence de la conclusion de Merki3 quant aux tendances concernant les déplacements (schneller, weiter, mehr, billiger, sicherer, weiblicher), Spielmann nuance leur poids en ce qui concerne la mobilité du quotidien pour la période étudiée.

L’auteur concluant son propos avec des perspectives de recherche, nous en retiendrons particulièrement deux. Les discours autour des piétons – particulièrement ceux des promoteurs de l’automobile et des acteurs des politiques de transport – mériteraient d’être étudiés. Jusqu’au début des années 1930, il est encore possible de se déplacer librement à pied sur la route. Devenus «les autres usagers de la route», les piétons passent de représentants de la norme à empêcheurs de rouler en rond. Un autre aspect peu développé est celui du genre. Aujourd’hui, de nombreuses études mettent en avant les différences dans les déplacements en fonction du sexe. Les études historiques sont rares sur la question et des analyses sur ce point sembleraient pertinentes.

La thèse de Spielmann est une étude passionnante, extrêmement riche, aux conclusions limpides qui résultent d’une fine et pertinente analyse des sources. La structure choisie par Spielmann implique quelques répétitions, particulièrement entre les parties 1 et 2, l’infrastructure se confondant un peu avec le moyen de transport. D’un point de vue purement formel, le rappel fréquent aux autres chapitres perturbe quelque peu la lecture. Mais ces détails n’affaiblissent aucunement cette vaste étude, enrichie par des illustrations et tableaux parlants. Spielmann s’inscrit dans une nouvelle historiographie des mobilités en opposition au phasisme, opposition récemment influencée par l’histoire environnementale. Cette dernière met l’accent sur l’hybridité des systèmes énergétiques avant le passage en force des énergies fossiles4. Dans leur récente synthèse sur l’histoire des mobilités en France, les historien·e·s Baldasseroni, Faugier et Pelgrims l’affirment: «De même que l’idée de ‹transition énergétique› est un non-sens historique, il n’existe pas vraiment de ‹transition mobilitaire›»5. Spielmann met en avant des systèmes hybrides – on parle-rait aujourd’hui de comodalité – que la motorisation a en quelque sorte bouleversés et biaisés à partir des années 1930. La thèse de Spielmann insiste sur l’importance de la marche jusqu’à aujourd’hui: en 2015, les habitant·e·s de la Suisse parcourent en moyenne une demi-heure à pied par jour, soit un tiers de leur temps «en route» (p. 177). Elle fait écho aux études démontrant la disproportion entre l’espace réservé à la circulation automobile et celui dévolu aux piétons, dont les déplacements sont pourtant majoritaires en ville.

Notes
1 International Association for the History of Transport, Traffic & Mobility.
2 Ruth Kaufmann-Hayoz, Human Action in Context. A Model Framework for Interdisciplinary Studies in View of Sustainable Development, in: Umweltpsychologie 10/1 (2006), p. 154–177.
3 Christoph Maria Merki, Verkehrsgeschichte und Mobilität, Stuttgart 2008, p. 76–87.
4 Voir François Jarrige, Alexis Vrignon (dir.), Face à la puissance. Une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel, Paris 2020; Jean-Baptiste Fressoz, «La ‹transition énergétique›, de l’utopie atomique au déni climatique: États-Unis, 1945–1980», Revue d’histoire moderne & contemporaine 69‑2 (2), Paris 2022, p. 114–146; Pour la marche à pied, voir Cédric Feriel, La ville piétonne. Une autre histoire urbaine du XXe siècle?, Paris 2022.
5 Louis Baldasseroni, Etienne Faugier et Claire Pelgrims, Histoire des transports et des mobilités en France: XIXe –XXIe siècles, Malakoff 2022, p. 7.

Zitierweise:
Robert, Tiphaine: Rezension zu: Spielmann, Benjamin: «Im Übrigen ging man zu Fuss». Alltagsmobilität in der Schweiz von 1848 bis 1939, Bâle 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(2), 2023, S. 220-223. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00127>.

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